catherine koenig

Traverser les portes du temps

Regarder une oeuvre d’art ? 

Lorsque l’on regarde une oeuvre d’art, on a l’impression fugace qu’il est facile de traverser les portes du temps – d’entrer dans la cuisine de la Laitière de Vermeer, de sentir le velours des pêches et les éclats de lumière dans la nature morte de Chardin, de capter la concentration d’Erasme en train d’écrire …

Mais est-il facile de comprendre ce qu’a voulu exprimer l’artiste ? Comment traverser les portes du temps et saisir les questionnements et constructions symboliques de l’époque dans laquelle il ou elle a vécu ?

Entre l’artiste et nous, il y a l’épaisseur invisible du temps et de l’espace qui structurent inconsciemment nos rapports à l’image.

 

Qu’est-ce qu’être un artiste ? Est-ce être un créateur d’images qui représentent le monde matériel ; est-ce un être sensible qui rend perceptible une conception différente en avance sur son temps, ou est-ce plutôt un habile artisan, maître de sa technique qui donne à voir des symboles d’un monde transcendant et  immatériel, lieu d’un pouvoir sacré ?

Qu’est-ce qu’une oeuvre d’art ? Un objet singulier sans utilité précise, conçu comme le lieu de la représentation de la conception d’un monde, le support mémoriel pour la transmission de connaissances, une surface plane, un cadre, une fenêtre, un miroir, un écran ?

Qu’est-ce qu’un spectateur ? Un être humain porteur de sa propre culture, de ses références et de son histoire, vivant dans un espace-temps et dans un environnement singulier et complexe. Selon son âge, son parcours de vie, ses racines et ses connaissances, le spectateur amène avec lui sa propre arborescence de savoirs et de ressentis qui l’accompagnent et le transforment en permanence. Vivre est être traversé en continu de cheminements de la connaissance, connaissance de soi et de son entourage, découverte d’autrui et des autres cultures qui nous ouvrent au monde.

Alors c’est vrai, lorsque l’on regarde une oeuvre d’art, de nombreuses interférences font écran. Le lieu où l’oeuvre est présentée n’est souvent plus la place pour laquelle l’oeuvre avait été conçue. Les frises du Parthénon d’Athènes sont au British Museum, la Maestà de Cimabue qui était conçue comme un tableau d’autel dans une église est présentée au musée des Offices à Florence, Guernica de Picasso peint dans l’atelier du quai des Augustins est désormais présenté dans une salle à part sous la lumière tamisée du musée de la Reine Sofia à Madrid. Les musées conservent admirablement les oeuvres et les exposent dans d’excellentes conditions mais cette présentation isole et magnifie l’oeuvre, qui avait été réalisée dans des ateliers plein de vie et d’énergie créatrice. Et puis, notre contemporanéité nous assaille en permanence, que ce soit par les réseaux sociaux qui démultiplient à l’infini le cercle de nos amis, les déplacements qui nous donnent accès à l’ubiquité, les moteurs de recherches qui nous offrent l’accès à une connaissance illimitée.

Comment comprendre les temps anciens où traverser la France du Nord au Sud prenait 6 à 8 semaines de marche, avec des journées de 25 à 40 km par jour de marche quand on se déplace en voiture, en train, en avion ; de ressentir le froid et l’obscurité de la nuit lorsque nous vivons en permanence avec chauffage central et lumière électrique abondants et faciles d’accès ; de comprendre la richesse inouïe des natures mortes composées d’artichauts, de citrons, de poissons et de pain lorsque nous allons faire nos courses dans des hypermarchés emplis de victuailles.

Comment comprendre les oeuvres d’autres cultures, sans plaquer nos conceptions et nos idées du monde pour éviter les biais cognitifs et nos idées toutes faites ? Quelles significations se dévoilent dans les masques inuits et que l’on ne comprend pas ?

Comment interpréter l’image d’un homme couronné avec des ailes dans le dos en robe rouge rebrodée d’or face à un femme en robe bleue, aux cheveux dénoués en train de lire ?

Et si on apprenait à lire les images et les oeuvres d’art ? Et si on voyageait à travers le temps et l’espace pour mieux comprendre d’où l’on vient, comment les différentes cultures se sont côtoyées,  confrontées, enrichies, démultipliées les unes avec les autres tout au long de l’histoire de l’humanité ?  Mais comment apprendre à lire les oeuvres d’art ? N’a-t-on pas besoin de médiation ?

La médiation culturelle – transmettre sans trahir

La médiation culturelle est l’espace de relation entre l’artiste, l’oeuvre et le spectateur ; grâce à la présence du médiateur qui sert de transmetteur de connaissances, elle procède à la transmission des savoirs par le discours oral, le texte, l’image, le geste, les postures et les attitudes. Etablir une relation cognitive enrichie de liens multiples et féconds permet de déployer les chemins de la connaissance qui nous ouvrent à la connaissance de soi-même, premier et ultime chemin de la connaissance.